lundi 7 juin 2010

reflexion sur antisémitisme, judaïsme et sionisme

L’ANTISÉMITISME DESSERT-IL TANT L’ÉTAT D’ISRAËL?
Yakov Rabkin et Lillian Robinson
Depuis quelque temps, des représentants de l’état d’Israël ont multiplié les expressions de leur préoccupation à l’égard de l’antisémitisme.
Préoccupés que nous sommes de sauver des vies humaines plutôt que de réanimer un projet politique, nous, les auteurs de ce texte, trouvons que les invocations de l’antisémitisme par Israël reflète surtout la raison d’état et tendent à mettre les juifs en péril plutôt qu’à leur porter secours.
Il y a plusieurs raisons qui empêchent l’état d’Israël de combattre l’antisémitisme. La plupart d’entre elles sont structurelles sans rapport avec le parti au pouvoir en Israël. Primo, les leaders israéliens s’inquiètent ouvertement de ce qu’ils appellent « la bombe démographique », c’est-à-dire la perspective que les juifsredeviennent une minorité en Terre Sainte; pour pallier à cette menace, ils encouragent l’aliya (immigration de juifs en Israël).
Dans ce sens, des doses modérées d’anti-sémitisme ont toujours profité à Israël : l’antisémitisme augmente la population juive d’Israël en y attirant ceux qui se sentent menacés par les antisémites ailleurs. C’est la détresse plutôt que l’idéalisme qui a stimulé l’aliya. Une fois que la détresse dans le pays natal se dissipe, se dissipe également le désir de déménager en Israël, voire d’y rester. De nos jours, plus nombreux sont les juifs qui quittent Israël pour la Russie et l’Ukraine que ceux qui migrent dans le sens inverse. La plupart des juifs qui se sentent menacés en France préfèrent s’installer en Amérique du nord plutôt qu’en Israël. L’aliya est à son plus bas depuis quinze ans. Et pourtant, selon des sources israéliennes, le premier ministre Sharon envisage « une transformation radicale des politiques afin de stimuler l’immigration » en espérant attirer en Israël un million de nouveaux immigrants juifs.
Secundo, les politiques israéliennes envers les Palestiniens provoquent souvent des réactions antisémites. Il est grave que les juifs soient de plus en plus associés aux images de soldats et de colons armés qui remplissent les écrans de télévision du monde entier.
Finalement, Israël et ses défenseurs tendent à discréditer toute critique d’Israël et de l’idéologie sioniste en les qualifiant d’antisémites.
Les sionistes propagent l’idée que l’état d’Israël constitue l’alpha et l’oméga de la vie juive; ce qui, selon l’expression de l’ancien ambassadeur israélien en France, a tendance à «vassaliser les communautés juives ».
Les leaders israéliens parlent « au nom du peuple juif » et s’efforcent de créer une confusion dans la perception publique entre les Israéliens d’un côté et les juifs de la diaspora de l’autre. Ils postulent qu’Israël est « l’état du peuple juif » plutôt que l’état de ses propres citoyens. Ceci ne fait qu’encourager l’antisémitisme dans le monde.
Attaques incendiaires contre des écoles juives, croix gammées sur des synagogues, ne sont que des retombées les plus récentes du conflit israélo-palestinien. Depuis longtemps, les antisémites sont convaincus qu’il existe des intérêts politiques spécifiquement juifs, néfastes pour le reste de l’humanité, voire même un complot juif mondial. Le faux infâme, les Protocoles des anciens de Sion serait l’expression la mieux connue pour appuyer ce genre de croyances. En se proclamant « l’avant-garde du peuple juif dans son ensemble », les sionistes renforcent, sans doute par inadvertance, cette association d’emblée des juifs avec l’état Israël.
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Il est impératif de dissocier les juifs et le judaïsme de l’état d’Israël ainsi que de sa conduite. Il ne faut plus parler de « l’état juif » ou du « lobby juif » mais plutôt de « l’état sioniste » et du « lobby sioniste ». Lorsque, à la fin du 19e siècle, les sionistes ont appelé les juifs à se rassembler en Palestine dans le but d’y former « une nation nouvelle », cette idée radicale a rebuté la grande majorité des juifs, tant laïcs que pratiquants.
L’opposition de principe la plus tenace est venue des érudits du judaïsme qui rejettent comme absurde le concept sioniste de la nation, un pastiche tardif du nationalisme européen du 19e siècle.
Si les Arabes restent longtemps réceptifs aux ouvertures économiques que leur font les sionistes au début de leur colonisation du pays, les érudits talmudiques, les seuls juifs alors présents en Palestine, réagissent avec peur et horreur à l’arrivée de Russie de ces juifs laïcs. La proverbiale « solidarité juive », que déplorent tant les antisémites, ne s’y manifeste point.
Ces savants refusent, jusqu’à présent, de réduire la Terre d’Israël, source d’inspiration spirituelle depuis deux millénaires, à un concept géopolitique. En effet, l’entreprise sioniste ne constitue qu’un épisode controversé et relativement bref dans l’histoire juive, à peine sa culmination inéluctable, comme la présentent d’aucuns. Il y a des juifs qui, malgré l’évidence, prennent l’état d’Israël et son armée pour la meilleure garantie de la sécurité des juifs. Mais il y a bien d’autres juifs, sans doute moins portés à se faire entendre, qui craignent qu’Israël ternisse le judaïsme et menace les juifs tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.
C’est pourquoi, de nos jours, il y a plus de chrétiens que de juifs qui adorent Israël et lui offrent leur soutien inconditionnel. Ce soutien vient surtout de la droite traditionnellement empreinte d’anti-sémitisme. The Christian Coalition, sans doute le mouvement sioniste le plus puissant au monde, aspire à rassembler tous les juifs en Terre Sainte comme condition préalable au second avènement du Christ. Ils attendent des juifs ainsi rassemblés de reconnaître Jésus comme messie ou faire face à l’extermination, une perspective qui, naturellement, n’attire que peu de juifs. Pour des raisons d’opportunisme politique, plusieurs partis nationalistes en Israël ont tissés des liens très étroits avec the Christian Coalition dont le soutien de l’entreprise sioniste - tant politique que financier - laisse loin derrière tout soutien que pourra jamais lui offrir les juifs.
Beaucoup parmi les millions de juifs d’Israël se sentent otages du rêve sioniste qui tourne tragiquement au cauchemar sanguinaire. Mais ce rêve a également « vassalisé » les juifs de la diaspora à un état qu’ils ne contrôlent pas, n’y habitent pas, ni même jamais y ont foulé le sol. L’avenir des juifs ne doit pas dépendre du futur de l’état sioniste, aussi armé et combatif qu’il puisse être; car cette dépendance menacerait l’essence même de leur judaïté.
Selon le philosophe Yeshayaou Leibowitz, un des grands penseurs israéliens du 20e siècle, « L’État d’Israël, et tous les États du monde, apparaissent et disparaissent. L’État d’Israël aussi, bien évidemment, disparaîtra dans cent, trois cents, cinq cents ans. Mais je suppose que le peuple juif existera aussi longtemps que la religion juive existera, peut-être pour des milliers d’années encore. L’existence de cet État ne présente aucune importance pour celle du peuple juif… Les juifs dans le monde peuvent très bien vivre sans lui.»
C’est une autre raison pourquoi l’état Israël quelles que soient les déclarations de ses dirigeants, ne peut guère servir de rempart contre l’antisémitisme.
Les auteurs sont professeurs titulaires, respectivement à l’Université de Montréal et à l’Université Concordia au Canada. Yakov Rabkin vient de publier le livre « Une histoire de l’opposition juive au sionisme » dont le lancement aura lieu à Québec le 13 mai à 19 h au Musée de la civilisation

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