dimanche 13 mars 2011

Il était une fois à Tibhirine

Le testament de Christian de Chergé, un des sept moines de Tibhirine



Christian de Chergé a voulu laisser une trace sur ses motivations profondes au cas où il serait victime du terrorisme. Il pressentit son enlèvement et envoie à sa famille une lettre scellée, portant ces mots : « Quand un À-Dieu s'envisage ». Il a écrit ce document en deux fois : le 1er décembre 1993 et le 1er janvier 1994. Le texte a été confié au journal la Croix, peu de temps après l'annonce de sa mort, et publié le 29 mai 1996. Il est connu sous le nom de Testament spirituel de Christian de Chergé



Quand un A-DIEU s'envisage...






S'il m'arrivait un jour - et ça pourrait être aujourd'hui -


d'être victime du terrorisme qui semble vouloir englober maintenant


tous les étrangers vivant en Algérie,


j'aimerais que ma communauté, mon Église, ma famille,


se souviennent que ma vie était DONNÉE à Dieu et à ce pays.


Qu'ils acceptent que le Maître Unique de toute vie


ne saurait être étranger à ce départ brutal.


Qu'ils prient pour moi :


comment serais-je trouvé digne d'une telle offrande ?


Qu'ils sachent associer cette mort à tant d'autres aussi violentes


laissées dans l'indifférence de l'anonymat.


Ma vie n'a pas plus de prix qu'une autre.


Elle n'en a pas moins non plus.


En tout cas, elle n'a pas l'innocence de l'enfance.


J'ai suffisamment vécu pour me savoir complice du mal


qui semble, hélas, prévaloir dans le monde,


et même de celui-là qui me frapperait aveuglément.


J'aimerais, le moment venu, avoir ce laps de lucidité


qui me permettrait de solliciter le pardon de Dieu


et celui de mes frères en humanité,


en même temps que de pardonner de tout coeur à qui m'aurait atteint.


Je ne saurais souhaiter une telle mort.


Il me paraît important de le professer.


Je ne vois pas, en effet, comment je pourrais me réjouir


que ce peuple que j'aime soit indistinctement accusé de mon meurtre.


C'est trop cher payé ce qu'on appellera, peut-être, la "grâce du martyre"


que de la devoir à un Algérien, quel qu'il soit,


surtout s'il dit agir en fidélité à ce qu'il croit être l'Islam. Je sais le mépris dont on a pu entourer les Algériens pris globalement.


Je sais aussi les caricatures de l'Islam qu'encourage un certain idéalisme.


Il est trop facile de se donner bonne conscience


en identifiant cette voie religieuse avec les intégrismes de ses extrémistes.


L'Algérie et l'Islam, pour moi, c'est autre chose, c'est un corps et une âme.


Je l'ai assez proclamé, je crois, au vu et au su de ce que j'en ai reçu,


y retrouvant si souvent ce droit fil conducteur de l'Évangile


appris aux genoux de ma mère, ma toute première Église,


précisément en Algérie, et déjà, dans le respect des croyants musulmans.


Ma mort, évidemment, paraîtra donner raison


à ceux qui m'ont rapidement traité de naïf, ou d'idéaliste :


"qu'Il dise maintenant ce qu'Il en pense !".


Mais ceux-là doivent savoir que sera enfin libérée ma plus lancinante curiosité.


Voici que je pourrai, s'il plaît à Dieu,


plonger mon regard dans celui du Père


pour contempler avec lui Ses enfants de l'Islam


tels qu'ils les voient, tout illuminés de la gloire du Christ,


fruit de Sa Passion, investis par le Don de l'Esprit


dont la joie secrète sera toujours d'établir la communion


et de rétablir la ressemblance, en jouant avec les différences.


Cette vie perdue, totalement mienne, et totalement leur,


je rends grâce à Dieu qui semble l'avoir voulue tout entière


pour cette JOIE-là, envers et malgré tout.


Dans ce MERCI où tout est dit, désormais, de ma vie,


je vous inclus bien sûr, amis d'hier et d'aujourd'hui,


et vous, ô amis d'ici,


aux côtés de ma mère et de mon père, de mes soeurs et de mes frères et des leurs,


centuple accordé comme il était promis !


Et toi aussi, l'ami de la dernière minute, qui n'aura pas su ce que tu faisais.


Oui, pour toi aussi je le veux ce MERCI, et cet "A-DIEU" en-visagé de toi.


Et qu'il nous soit donné de nous retrouver, larrons heureux,


en paradis, s'il plaît à Dieu, notre Père à tous deux. AMEN !


Insha 'Allah !


Alger, 1er décembre 1993


Tibhirine, 1er janvier 1994


Christian


Témoignage: lien1
 
http://www.ktotv.com/videos-chretiennes/emissions/nouveautes/documentaire-celestin,-moine-de-tibhirine/00049689

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