mercredi 3 octobre 2012

Syphax, Mazilia et autres prénoms interdits

Il n'est pas dans mes habitudes de reproduire l'intégralité d'un texte d'un auteur, ici il s'agit de la prestigieuse auteur Mouna Hachim et le texte est sa chronique dans le site L'economisite.com qui depuis hier semble inaccessible. Pour faire bénéficier ses lecteurs habituels, je me suis permis de reproduire l'article dont le lien source est ici  http://www.leconomiste.com/article/899109-syphax-mazilia-et-autres-pr-noms-interditspar-mouna-hachim



Il est désolant d’apprendre, à l’heure où l’amazighe est reconnue constitutionnellement langue officielle, que des prénoms soient encore interdits. Deux plaintes récentes émanent en ce sens de Marocains résidant à l’étranger en contact avec les autorités consulaires pour les prénoms Syphax et Mazilia respectivement en Espagne et en Belgique.
Je n’ai pas envie d’essayer de comprendre l’incompréhensible absurdité et arbitraire de l’administration, le refus sans explication, l’existence d’une liste de prénoms autorisés ou pas, la concordance des textes avec les faits sur le terrain… Pas envie de répéter l’évidence selon laquelle il n’y a pas de liberté plus fondamentale que celle d’appeler son enfant selon ses désirs et convictions tant qu’on est dans le cadre de la bienséance et de la loi.
Allons plutôt ici vers la signification que revêt le prénom afin d’aborder la question sous une autre perspective et dépassionner le débat. Car les uns voient d’un mauvais œil la résurgence de ces prénoms puisés dans l’ère antéislamique et qui n’ont plus cours depuis des siècles; tandis que d’autres veulent sauver de l’oubli un pan du patrimoine de l’Afrique du Nord dont l’histoire ne commence pas avec l’islamisation et l’arabisation.
Ces derniers croient parfois à tort, pour certains d’entre eux, qu’il y eut depuis toujours un processus de marginalisation de la culture amazighe dont la langue et les prénoms sont l’expression alors que l’islam a joué un rôle capital dans le choix par les Amazighes eux-mêmes de prénoms arabes et musulmans. Beaucoup de prénoms ont d’ailleurs été assimilés et transformés selon les modes diminutifs, affectueux… Parmi les plus connus: pour Mohamed/Mohand, Abdesslam/Assou, Abderhmane/Rahhou, Abd-Allāh/Abbou…
Les prénoms portés en Afrique du Nord avant l’islam furent très présents avant de disparaître progressivement de l’usage, laissant parfois juste le souvenir de noms de tribus, villages, patronymes ou saints personnages.
. C’est le cas des appellations d’inspiration biblique, tels  Idder (nom amazigh donné à Yahya dit Saint Jean-Baptiste), Zekri (Zakaria), Yechchou (de Yachou’, Josué, successeur de Moïse).
D’autres prénoms, évoquant la nature et les éléments, ont disparu encore plus. Exemple avec Iffou, prénom berbère ancien, probablement dérivé de la racine Fw, désignant la lumière. Qui connaît pour témoigner les Oulad Ben-Iffou dont la zaouïa est réputée à Doukkala avec des ramifications dans le Gharb!
A voir les généalogies de personnages des siècles passés notamment ceux décrits par Ibn Zayat Tadili qui répertorie les saints de la région de Tadla vers le XII
Ie siècle, on voit bien que des prénoms ont totalement disparu de l’usage et dont même le sens demande à être étudié tandis qu’à cette époque-là, les prénoms musulmans étaient déjà dominants.
Que sont devenus ici et là, tous ces Isliten, Wakriss, Mendil, Medioune…? Devant cette sensation de perte de pans de notre patrimoine, il est normal, qui plus est dans un monde globalisé, que chacun aspire à recouvrer cette identité. Ce qui ne l’est pas, c’est l’interdit qui fait remonter d’un cran les revendications, jusqu’à faire confondre à certains, prénom d’un enfant et porte-étendard. Ceci dit, cela n’en reste pas moins une liberté individuelle.
En quoi cela poserait problème que tel monsieur appelle son fils Syphax ou l’autre Mazilia? C’est joli, original, ancré dans l’histoire.
. Mais si les censeurs connaissaient l’histoire, probablement qu’ils n’auraient jamais été censeurs…
Qu’évoque Mazilia de si grave pour qu’il soit interdit (déjà en 2009 par le consulat du Maroc à Lille)? N’est-il pas des plus nord-africains des prénoms? Sur le plan de la langue, il désigne en langue amazighe l’univers énigmatique et industrieux des forgerons (Imzalen, au singulier Amzil).
C’est ainsi que plusieurs tribus des montagnes et des vallées du Souss se réclament de la lignée d’un ancêtre légendaire qui serait issu de la fameuse cité caravanière de Tamedoult réputée pour sa mine d’argent, avant de connaître la destruction et la ruine au XI
Ve siècle, prélude à l’exode de ses habitants. Citons à ce titre la tribu Aït Mzal dont l’ethnonyme est Mzali, arboré fièrement par plusieurs sommités culturelles et religieuses.
Il serait vain de tenter d’énumérer toutes les personnes, familles et groupements dont  le nom englobe cette racine: Qsar Imzilen sur la rive droite d’Oued Dadès; Sidi Mzal, au nord de Taroudant;  Omrou Wemzal, un des membres du Conseil des dix du Mehdi Ben Toumert et chef de la tribu Hintata au grand-Atlas; Zaouïa de Mzilate à Chiadma (province d’Essaouira)  considérée comme une des treize zaouïas des Regraga avec pour ethniques Mzili, Mazili ou Amzil…
Le professeur Ahmed Chafik se demande s’il faut rapprocher les termes Mazili, Mazouli, Mzala, Aït Amzal, Tamzilen du nom des Massyles. Il s’agit-là du royaume antique des Mezala, dit Massyles par les auteurs romains qui s’étendait sur l’Afrique du Nord  (est du Maroc, nord-est de l’Algérie, Tunisie  et Libye jusqu’à Tripoli avec pour capitale, Cirta, actuelle Constantine). Parmi ses rois illustres figurent Jugurtha, Juba, Ptolémée… et Syphax. Celui-ci, allié des Carthaginois, en guerre contre Massinissa est vaincu par les Romains à la bataille des grandes plaines en l’an 203 av. J.-C. et envoyé en prisonnier à Rome où il trouva la mort tandis qu’incombait à son rival Massinissa son royaume des Mezala. Connaissant cela, qu’est-ce qui justifie aujourd’hui qu’on interdise à des enfants de s’appeler Syphax ou Mazilia?
Source: http://www.leconomiste.com/article/899109-syphax-mazilia-et-autres-pr-noms-interditspar-mouna-hachim

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