Je publie l'intégralité non seulement parce que j'apprécie la teneur de l'article et parce que cet article mérite d'être partagé à un auditoire plus large.
« Il ne s’agit pas d’un conflit entre musulmans et non musulmans,
mais d’un antagonisme entre les laïcs et ceux qui veulent intégrer la
religion dans tous les détails de la vie courante ». Ainsi s’exprimait
un ami imprégné des valeurs humaines et humanistes, dans leur sens le
plus large ; un ami dont j’ai lu le message plusieurs fois, encore et
encore. Il est vrai que le débat aujourd’hui en cours sur les libertés
individuelles, sexuelles et de conscience pourrait prendre l’allure d’un
conflit entre « une bande d’athées-mécréants-libertins-ennemis de
l’islam » et des musulmans croyants qui ne seraient animés que par la
défense pure de valeurs encore plus pures…
Mais les choses ne sont pas aussi simples ni faciles. Je ne pense pas
que l’existence soit blanche ou noire car dans toutes les affaires de
la vie humaine, en politique comme en sexualité ou encore dans le
domaine de la connaissance, une longue palette de tons gris se
superpose. On ne peut diviser les sociétés en mécréants et en croyants
car entre les deux évoluent tout un ensemble de convictions et de
pratiques…
Mais aujourd’hui, et davantage qu’hier, je reste persuadée que la
laïcité est LA solution. Séparer la religion de la politique et de
l’espace public. C’est là la voie unique et vraie pour dépasser cet
extraordinaire enchevêtrement d’hypocrisie, de mensonge à soi et de
volonté d’étouffer les libertés de l’Autre. Et le résultat est
qu’aujourd’hui de très larges franges de la population préfèrent
composer avec la religion pour se préserver un minimum de sérénité et
pour offrir une image « respectable » de soi aux autres.
Parmi tous ceux qui se sont élevés contre Mokhtar Larhzioui, combien
sont-ils qui, sans hypocrisie et sans dissimulation, n’ont jamais
entretenu une relation sexuelle en dehors du cadre conjugal ? Si c’est
le respect des préceptes religieux qui les animent, alors la réponse
devrait être « tous », sans aucune marge d’erreur possible. Ce qui
importe, en définitive, est-ce l’observation des enseignements de la
religion ou alors, simplement, la préservation de « l’honneur » de la
sœur ?… et à travers tout ce bruit et toute cette intimidation,
l’objectif ne serait-il pas une simple recherche de sérénité et du
besoin de se présenter sous son meilleur jour à l’Autre ?
Réfléchissons aussi à tous ceux qui se retiennent de consommer des
boissons alcoolisées quarante jours avant le début du mois de ramadan…
Où donc ont-ils été chercher cette fatwa ? Interrogé, l’un d’eux m’a
répondu que la raison résidait dans le fait que l’alcool reste dans le
sang quarante jours après en avoir consommé, d’où le fait de cesser de
boire des alcools autant de jours avant le mois du jeûne. Mon
interlocuteur a ajouté que cela a été scientifiquement établi. Mon
propos ici n’est pas de discuter sur la licité ou non de l’alcool, mais
plutôt de ces accommodements que les gens se trouvent avec certaines
questions. D’abord, et pour revenir sur l’aspect scientifique avancé par
notre ami, l’argument n’est pas valable. En effet, l’alcool est éliminé
du corps quelques heures seulement après sa consommation… dans le cas
contraire, imaginons cette personne qui a bu quelque vin ou un peu de
bière et qui, dix jours après, soumis à un alcootest au Maroc ou
ailleurs, découvre que son taux d’alcoolémie reste élevé… Serait-ce à
dire que toute personne qui aurait ingéré de l’alcool ne pourrait plus
conduire de voiture pendant une période de quarante jours ? Cela ne
semble pas très logique… et nous parlons ici le langage du droit et de
la science. Ainsi donc, se priver de la consommation d’alcools quarante
jours avant le début du ramadan autoriserait-il finalement à en prendre
les autres mois de l’année ? Cela rendrait-il l’alcool licite les autres
jours, en dehors de ramadan et des quarante jours qui le précèdent ?
Laissons la question ouverte…
Le problème est que toutes ces questions, en définitive, se réduisent
à la suivante : « Es-tu musulman, ou non ? », « es-tu contre l’islam,
ou en sa faveur ? ». Une scène me revient à l’esprit, une scène où l’on
voit à la télévision la lutte du peuple égyptien. Sur la place Tahrir,
un manifestant brandissait le drapeau saoudien, et voilà qu’une jeune
Egyptienne l’aborde pour lui faire remarquer qu’il ne s’agissait pas là
de l’étendard de l’islam, mais des couleurs d’un autre pays, simplement,
et qu’il lui serait plus indiqué de porter les couleurs de l’Egypte.
L’homme avait alors eu cette réponse on ne peut plus simpliste : « Es-tu
musulmane ou non ?… Parfois, il m’arrive de me demander si cette
question n’est pas devenue l’argument suprême de ceux qui n’ont aucun
autre argument…
Il ne s’agit donc pas d’un antagonisme entre ceux qui veulent
l’application de l’islam et ceux qui la refusent. Il ne s’agit pas non
plus d’un conflit entre croyants et mécréants, non… Nous sommes ici face
à une véritable lutte entre ceux qui veulent imposer les enseignements
de la religion dans tous les aspects de la vie (du moins dans les
discours et les professions de foi, car la réalité est toute autre), et
ceux qui considèrent que le fait religieux, pour nécessaire qu’il soit,
relève de la sphère personnelle, individuelle, privée… Il est impossible
d’imposer la foi et la croyance aux gens ; seule la loi doit pouvoir
organiser l’existence et la coexistence des individus, car la loi évolue
avec les changements des sociétés, les accompagnent, les épousent. Car
la loi est une création humaine, le droit est le fait de l’Homme, et
qu’en conséquence, il n’est ni intangible ni immuable. Et bien
évidemment, de même que la loi confère aux individus le plein droit de
ne pas respecter les obligations religieuses et de mener leurs
existences comme ils l’entendent, cette même loi doit pouvoir donner aux
gens, minoritaires soient-ils ou majoritaires, le droit de pratiquer
leurs fois et leurs cultes comme ils le souhaitent, sûrement et
assurément.
Il s’agit là, en effet, d’une solution qui rendrait les individus
responsables de leurs actes, de leurs choix, de leurs comportements et
de leurs convictions.
Sanaa El Aji
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