lundi 15 octobre 2012

17 octobre 1961 : souvenir







Peuple français !

Peuple français, tu as tout vu
Oui, tout vu de tes propres yeux
Tu as vu notre sang couler
Tu as vu ta police
Assommer les manifestants
Et les jeter dans la Seine.
La Seine rougissante
N’a pas cessé les jours suivants
De vomir à la face.
Du peuple de la commune
Ces corps martyrisés
Qui rappelaient aux Parisiens
Leurs propres révolutions
Leur propre résistance
Peuple français, tu as tout vu
Oui tout vu de tes propres yeux,
Et maintenant vas-tu parler ?
Et maintenant vas-tu te taire ?

Kateb Yacine




Le 17 octobre 1961


Le dix sept octobre, sur la Seine en folie,
Flottent les corps des Algériens assassinés.
Mais longtemps plus tard, la mémoire délie
La parole de ceux qui étaient juste nés.
Sous le pont de Neuilly, coule l'eau de l'Histoire
Et le sang des martyrs avec leurs cheveux bruns,
Basanés et barbus. Pas méchants ! Doux ? Voire !
Venus manifester et protester un brin.
Ils glissent sur la Seine en tournant sur eux-mêmes.
Au milieu des remous, transis, glacés, muets,
Deux par deux, trois par trois, gonflés, visages blêmes,
Comme de lents esquifs, nonchalants et fluets.
Que voulaient ces gens là ? Ces baigneurs sans tenue
Ces hommes ordinaires ? Ouvriers ? Travailleurs ?
Qui construisaient la ville avec ses avenues ?
Ils sortaient du métro, Français, venus d'ailleurs.
Que cherchaient-ils ? Le droit à la reconnaissance !
Liberté, Egalité et Fraternité.
Ils étaient tous venus. Ils croyaient en la France.
Celle des droits de l'homme pour l'éternité.
Ils avaient amené leurs enfants, leurs compagnes,
Et pacifiquement, ils marchaient deux par deux,
Comme on va à la fête ou bien à la campagne.
Avec leur âme en paix et le bon droit pour eux.
Ces innocents transis qui descendent la Seine
Sans secours ni bouées, ne savent pas nager.
Quelle est, passant inquiet, cette vision obscène ?
Qui évoque les temps des anciens naufragés ?
Quelle est cette vision qui insulte le fleuve
Et ternit la mémoire où les coeurs innocents
Rangent leurs souvenirs le soir ? Qu'il pleuve !
Qu'il pleuve ! Ah bon Dieu ! Pour laver tout ce sang !
Ceux qui ont fait couler le sang, qu'ils se souviennent !
Et que les survivants n'oublient jamais l'horreur,
Pendant que, lentement, les souvenirs reviennent
Pour aider les enfants à dominer leurs peurs !
Le dix sept octobre, descendaient sur la Seine
Les corps martyrisés des innocents lynchés.
Cultivons dans nos coeurs la haine de la haine !
Que notre soif d'amour ne puisse s'étancher !
Aux malheureux tombés, n'érigeons point de stèle,
Mais souvenons-nous d'eux, constamment, chaque jour !
Afin que l’amour l’emporte, soyons fidèles
Aux martyrs du racisme primaire, toujours !

Marcel GOZZI

  







Le 17 octobre 1961,  une journée portée disparue[1]
Ou comment l'État français a mis sous silence un véritable massacre
Le 17 octobre 1961 en pleine guerre d'Algérie, la fédération française du FLN[2] – un mouvement politique Algérien favorable à l'indépendance de l'Algérie – organisa une grande manifestation afin de dénoncer le couvre feu instauré par le préfet Maurice Papon, les ratonnades, le racisme, les contrôles abusifs et les diverses violences commises par les autorités françaises. Pour que l’évènement atteigne son but, tous les Algériens de la région, hommes, femmes et enfants qui étaient victimes de ces abus furent appelés à se joindre aux militants du FLN.

Ce furent entre 30 000 et 50 000 personnes qui répondirent présentes malgré le climat extrêmement tendu. Dans la plus grande discrétion le FLN a mis en place ce rassemblement pacifique. En effet, aucune arme n'était autorisée, les organisateurs n'hésitèrent pas à fouiller tous les manifestants afin de proscrire tous les objets pouvant nuire au bon fonctionnement de la marche. Le départ fut annoncé à 19H00, dès cet instant une immense vague humaine déferla sur la capitale venant de toute part. Bien sûr, tout cela étant organisé dans le plus grand secret, les autorités françaises ne furent informées que très tardivement.
Une nuit sanglante
Malheureusement, au cours de la soirée, les évènements prirent une toute autre tournure. La police, sous tensions face à cette marée humaine, réagit par une répression sans précédent. Ainsi la manifestation qui se voulait pacifique se transforma en un véritable massacre. Des arrestations d'une rare violence furent commises par les autorités. Des hommes algériens seront gravement blessés, d'autres jetés et noyés dans la Seine. Un grand nombre sera conduit dans des centres de rétentions, des hôpitaux, et au stade Pierre de Coubertin pour être torturés puis expulsés en Algérie.
Combien de victimes ?
Le lendemain, la préfecture de police fit état de deux morts, un chiffre qui paraît bien faible face aux faits, de leur côté les archives de l'institut médicolégal n'enregistrent aucune entrée pour la date du 17 octobre 1961. Il semblerait que l'on ait voulu enfouir à jamais cette page sombre de l'histoire de la France par le biais de la censure, de l'occultation et du politiquement correct. Le nombre de mort s'avère être en réalité bien plus élevé, Jean-Luc Einaudi, auteur de La Bataille de Paris 1961, parle de 393 morts. Un chiffre que modère toutefois Jean-Paul Brunet, dans son livre Police contre FLN, le drame d'octobre 1961, il estime qu'il y aurait eu entre 30 et 50 morts qu'il impute en partie aux partisans du FLN et pense que la police n'est pas entièrement responsable du nombre de décès survenu ce jour-là.

Un massacre longtemps  occulté des deux côtés de la rive méditerranéenne
De son côté, L'État français dissimulait la réalité des faits et minimisait le nombre de victimes afin d'apaiser les tensions au sein de la métropole et de se centrer sur les vraies préoccupations de l'époque : les provocations incessantes de l'OAS[3], les manifestations de la gauche, les représailles contre les pieds-noirs, la fusillade de la rue d'Isly le 26 mars 1962 et enfin l'assassinat de plusieurs dizaines de milliers de harkis. Quand au GPRA[4], il souhaitait simplement poursuivre ses négociations avec l'État français en évitant le plus de tension. Ainsi, il décida de mettre de côté le massacre du 17 octobre. La priorité  étant pour lui l'indépendance de l'Algérie dans les plus brefs délais.
Sur le chemin de la reconnaissance ?
Il aura fallu attendre une vingtaine d’années afin que soit autorisés la publication et la diffusion de documents relatant de ce pan de l'histoire de la décolonisation française. Il est vrai que les seuls journaux français, qui traitaient à cette époque du sujet de manière impartiale étaient très vite censurés. C’est comme cela que naquit, une véritable construction sociale de l'indifférence. C'est seulement à partir de 1985 que des livres seront autorisés à la publication. Ainsi le livre Les ratonnades d'octobre: un meurtre collectif à Paris en 1961 de Michel Levine, méconnu du grand public sera l'un des premiers de son genre. C’est toutefois en 1991, le livre La bataille de Paris, 17 octobre 1961 de Jean-Luc Einaudi qui sera le premier livre à avoir un vrai impact sur le public en suscitant l'intérêt des médias.
L'affaire Papon
C'est surtout le procès très médiatisé de Maurice Papon, préfet de l'époque et acteur des évènements, qui va susciter un regain d'intérêt sur le massacre d'octobre. Entre 1997 et 1998, l'ancien préfet sera jugé pour sa collaboration avec l'Allemagne durant l'occupation, où il est accusé d'avoir joué un rôle dans la déportation des Juifs de Bordeaux. Le tribunal appellera à la barre, Jean-Luc Einaudi afin qu'il témoigne du rôle de Papon sur les violences de 1961. La publicité faite autour de ce procès pousse Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l'intérieur, à créer une commission chargée d'examiner les archives de la police sous la présidence de Dieudonné Mandelkern qui remet discrètement son rapport à la presse en mai 1998.
Le 17 octobre 1961 et les politiques d'aujourd'hui
Bertrand Delanoë, maire de Paris, inaugure le 17 octobre 2001 une plaque commémorative sur le pont Saint-Michel. Lors de cette même journée, Jacques Floch  le secrétaire d'Etat à la Défense chargé des anciens combattants évoque à l'Assemblée Nationale « un couvre-feu appliqué sur la base du faciès ».
Récemment, le 17 octobre 2011, François Hollande, alors candidat socialiste à la présidentielle, rend hommage en déposant une gerbe au pont de Clichy, où des Algériens furent jetés dans la Seine, cinquante ans plus tôt.

Les 140 Algériens disparus en 1961 à Paris (J.L. Einaudi)

TUÉS :
Abadou Abdelkader : Noyé, date indéterminée
Abadou Lakhdar : Noyé le 17/10/61
Abbas Ahmed : Arrêté le 10/10/61.
Inhumé le 9/12/61
Achemanne Lamara : Tué le 17/10/61
Adrard Salah : Tué le 17/10/61
Ait Larbi Larbi : Tué le 17/10/61
Akkache Amar : Tué le 28/09/61
Alhafnaoussi Mohamed : Retiré de la Seine
le 27/09/6
Arehab Belaïd : Tué le 18/10/61
Barache Rabah : Retrouvé noyé
le 30/09/61
Bedar Fatima : Noyée, repêchée
le 31/10/61
Bekekra Abdelghani : Tué par balles; date in
déterminée
Belkacemi Achour : Tué par balles le
18/10/61, inhumé
le7/11/61
Benacer Mohand : Tué le 08/10/61
Bennahar Abdelkader Tué par balles, date indé
terminée, inhumé le
7/11/61
Bouchadou Lakhdar : Noyé, retiré de la Seine
le 21/10/61
Bouchebri : Arrêté le 02/10/61, décès
annoncé le 12/10/61
Bouchrit Abdallah : Tué par balles, date indé
terminée
Boussouf Achour : Noyé le 7/10/61,
inhumé le 17/10/61
Chabouki Kassa : Arrêté le 25/09/61; repê
ché le 29/09/61
Chamboul Abdelkader: Tué le 02/10/61
Chaouch Raba : Tué par ballles, date in
déterminée
Chemloul Amrane : Tué le 03/10/61
Chevalier Guy : Tué le 17/10/61
Dakar Ali : Noyé ; date indéterminée
Dalouche Ahmed : Tué par balles ; inhumé le
12/12/61
Daoui Si Mokrane : Tué le 17/10/61
Derouag Abdelkader: Noyé le 17/10/61

Deroues Abdelkader: Tué le 17/10/61 ; inhumé
le 31/10/61
Djebali Mohamed : Arrêté le 15/09/61 ; tué,
date indéterminée
Douibi Salah : Tué le 17/09/61
Ferdjane Ouali : Noyé le 14/910/61
Ferhat Mohamed : Tué par balles ; date indé
terminée
Gargouri Abdelkader : Tué par balles ; date indéterminée
; inhumé le 10/11/61
Garna Brahim : Tué le 18/10/61
Guenab Ali : Arrêté et tué le 03/10/61
Guerral Ali : Tué par balles, date indé
terminée
Habouche Belaïd : Tué le 22/09/61
Haguam Mohamed : Noyé, date indéterminée-
Hamidi Mohand : Tué le 11/10/61 ; inhumé le
18/10/61
Hamouda Mallak : Tué le 11/10/61
Houbab Lakdhar : Noyé le 17/10/61
Kara Brahim : Blessé le 18/10/61 ; mort le
21/10/61 ; inhumé le
09/11/61
Kelifi : repêché le 30/10/61
Kouidji Mohamed : date indéterminée
Lamare Achemoune: Tué le 17/10/61
Lamri Dahmane : Tué le 05/10/61
Laroussi Mohamed :Noyé ; date indéterminée-
Lasmi Smaïl : Tué le 08/10/61 ; inhumé le
10/11/61
Latia Younès : Noyé le 06 ou 07/09/61
Loucif Lakhdar : Noyé ; date indéterminée-
Mallek Amar : Arrêté le 17/10/61 ; décès
annoncé le 21/10/61
Mamidi Mohand : Tué le 11/11/61
Mehdaze Cheriff : Tué le 27/09/61
Merakeb Mohamed : Tué le 02/09/61 ; repêché
le 10/10/61 ; inhumé le
21/10/61
Merraouche Moussa: Tué le 10/10/61Messadi
Saïd Tué le 27/09/61
Meziane Akli : Disparu le 17/10/61 ;
inhumé le 25/10/61
Meziane Mohamed :Tué le 17/10/61
Ouiche Mohamed : Tué le 24/09/61
Saadadi Tahar : date indéterminée
Saidani Saïd : Tué le 17/10/61
Slimani Amar : date indéterminée






Smail Ahmed : Tué le 27/09/61 Tarchouni Abdelkader : Tué le 09/10/61
Teldjoun Aïssa : Noyé
date indéterminée
Telemsani Guendouz : Tué le 17/10/61
inhumé le 04/11/61
Theldjoun Ahmed : Tué le 18/10/61
inhumé le 07/11/61
Yahiaoui Larbi : Tué le 17/10/61
Zebir Mohamed : Tué par balles
inhumé le 07/11/61
Zeboudj Mohamed : Tué le 11/09/61
Zeman Rabah : Tué le 11/09/61
DISPARUS :
Abbes Si Ahmed : 18/10/61
Achak Elkaouari : 18/10/61
Adjenec Hocine : date indéterminée
Aisani Mohamed : 17/10/61
Aitzaid Mehena : 17/10/61
Alilou Saïd : 29/09/61-
Aoumar Saïd : 17/10/61
Arabi Achour : 17/10/61
Baali Abdelaziz : 17/10/61
Belahlam Rabah : date indétermin
Belhouza Areski : date indéterminée
Ben Abdallah Mohamed : 17/10/61
Ben Abdel Halim : 17/10/61
Benouagui Omar : 20/10/61
Berbeha Rabah : 18/10/61
Bouchouka : date indéterminée
Boukrif Saïd : 17/10/61
Boulemkahy Abdellah : 17/10/61
Boumeddane Rabah : 17/10/61
Boussaid Ahmed : 17/10/61
Chaouche Rabah : 17/10/61
Chelli Lounis : date indéterminée-
Chemine Azouaou : 17/10/61
Cherbi Areski : 17/10/61
Dehasse Aïssa : 10/10/61
Drif Akli : 17/10/61
Fares Mohamed : 17/10/61
Ferhi Saïd : 10/10/61
Gacem Abelmadjid : 17/10/61


Ghezali Ahcene : date indéterminée
/10/61
Gides Lakhdar : 17/10/61
Guattra Ali : 17/10/61
Hadj Ali Saïd : 17/10/61
Hamdani Hocine : 17/10/61
Hamidi Titouche : 26/10/61
Ioualalene Kassi : 17/10/61
Izerou Saïd : 17/10/61
Kalfouni Ahmed : 18/10/61
Kakhal Ahmed : 21/10/61
Ketffa Mohamed : 17/10/61
Khadraoui Mohamed : 17/10/61
Khalfi Ahmed : 23/10/61
Khlifi Ahmed : 18/10/61
Laazizi Cherif : 17/10/61
Lamchaichi M’hamed : 18/10/61
Medjahi Abdelkader : 17/10/61
Medjahdi Abdelkader : 17/10/61
Mermouche Rabah : 18/10/61
Messaoudi Saïd : 17/10/61
Meszougue : 17/10/61
Metraf Chabane : 18/10/61
Milizi Hocine : 17/10/61
Moudjab Mohamed : 15/10/61
Ould Saïd Mohamed Saïd : 17/10/61
Ouzaid Mohand : 17/10/61
Reffas Mohamed : 14/10/61
Sadi Mohamed : 22/09/61
Salhi Djeloule : 17/10/61
Si Amar Akli : 18/10/61
Slaman Rachid : 20/10/61
Soualah Mustapha : 17/10/61
Tebal Tahar : date indéterminée
/10/61
Yali Amrane : 20/10/61
Yanath Mani : fin 10début 11/61
Yekere Chabane : 17/10/61
Yosfi Mabrouk : 17/10/61
X (domicilié 121 rue Georges Triton,
Gennevilliers) : 17/10/61
X (domicilié 37, avenue Lot-Communaux,
Gennevilliers : 17/10/61


Hommage à ceux qui s’engagent



[1] Réf au documentaire de Philip Brooks et Alan Hayling
[2] Le Front de Libération National
[3] L'Organisation Armée Secrète
[4] Le Gouvernement Provisoire de la République Algérienne

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