dimanche 20 février 2011

L’épopée oubliée des Ketama, fondateurs de l’empire fatimide

Je sors de l'actualité oppressante de ces dernières semaines pour vous plonger dans l'histoire passée qui si nous l'interprétons intelligement devrait nous réconcilier plutôt que nous diviser.

L'article qui va suivre est tiré de ce lien ici

L’actualité a cela de saisissant qu’elle nous émeut et nous enflamme. A côté de ses soubresauts qui animent le monde, l’histoire apparaît comme un paisible et non moins passionnant refuge, émanant d’un projet irréductiblement ancré dans le présent, lié qu’il est à la réhabilitation de l’identité et de la mémoire. C’est ainsi qu’au gré de mes lectures, mon cœur de cœur s’est porté sur la grande et antique confédération tribale du Maghreb formée par les Ketama, fondateurs de l'empire des Fatimides, conquérants de l'Egypte et dont les hauts faits sont notables aussi bien en Tripolitaine, qu’en Syrie, en Sicile ou en Sardaigne…

Appelés en amazighe, Ikutamen (au singulier Akutam), dits Kutama avec la Conquête arabe, leur berceau initial, attesté depuis la période romaine se situe en Petite Kabylie où ils pratiquaient un petit nomadisme entre la montagne et la haute plaine.

Si le plus grand nombre de la tribu demeura en ces lieux de manière stable, d’importantes fractions se sont établies anciennement au Maroc où leur nom est encore notoire dans le Rif central près d’Al Hoceïma. Ils ont également donné leur appellation au Moyen-Âge à Qsar Ketama, dit aussi Qsar denhaja (place forte bâtie par une de leurs fractions) devenu, depuis, la ville de Ksar Kebir. Leur nom générique fut à ce titre marquant dans le Gharb en tant qu’ethnonyme avec pour chef-lieu la localité d’Ezzaguen, à 16 km de Ouazzan.

L’historien Gabriel Camps propose de voir en eux les éléments d’une confédération dont ils étaient la tribu dominante sous le nom Ukutumani des inscriptions latines ou celui de Koidamousioi ainsi qu’il est identifié en Petite Kabylie par le géographe grec Ptolémée.

Probablement fondateurs d’un royaume maure en Maurétanie césarienne à l’époque romaine, les Ketama peuplaient, pendant la conquête musulmane, ce territoire situé selon Ibn Khaldoun, entre Bougie à Constantine et du sud de Constantine jusqu’au Mont Aurès et possédaient par-là toutes les villes importantes de la région.

Parmi leurs nombreuses ramifications: les Zouaua dont les branches sont étendues à travers le Maghreb et les Mzala dit Massyles par les auteurs romains, fondateurs du fameux royaume du même nom.

Réputés pour leur farouche indépendance, les Ketama s’allièrent avec les conquérants musulmans contre les Byzantins mais ne tardèrent pas à embrasser le dogme kharijite, prisé pour son puritanisme, adopté par les Berbères comme un mouvement de révolte contre l’oppression des gouverneurs arabes.

Rappelons que le kharijisme est une des trois branches de l'Islam, né en Arabie dans un contexte politique de crise de succession après l'assassinat en 656, du troisième calife othmane, du clan omeyyade.

Refusant après la bataille de Siffin l'arbitrage entre Ali, cousin et gendre du Prophète, et Mouâwiyah, cousin de Othmane, les kharijites proclamèrent que «l'arbitrage n'appartient qu'à Dieu». Anciens partisans de Ali, ils s’opposèrent à la fois aux Alides chiites et aux sunnites et devinrent les «Sortants», littéralement les Khawarij.

Dans son ouvrage, «L'Imamat de Tahart: premier Etat musulman du Maghreb», Brahim Zérouki nous explique donc, qu’«en 140 de l’hégire, lors de la prise de Kairouan par les Ibadites, les Ketama sont kharijites». Progressivement, poursuit plus loin l’auteur, un phénomène de rejet se fit sentir contre le ibadisme (branche du kharijisme) incarné par la famille d’origine persane d’Ibn Rustum en proie à la guerre civile à Tahert.

C’est dans ce contexte-là qu’est venu prêcher l’Ismaélisme, en Petite Kabylie, depuis le Yémen, le missionnaire chiîte d’origine irakienne, Abou ‘Abd-Allah Ach-Chi’i, envoyé par l'imam Ismaël ben Ja`far as-Sâdiq.

Ralliés rapidement à sa cause, les Ketama bâtissent une forteresse inexpugnable à Ikdjan (dans l’actuelle wilaya de Sétif) et constituent une armée dévouée. Ils reconnaissent l’autorité de son maître, ‘Obaïd Allah, originaire de Syrie, prisonnier à Sijilmassa par le gouverneur local à la demande du souverain aghlabide qui est basé à Kairouan sous l’autorité des califes de Bagdad.

Proclamé Mehdi, ‘Obaïd Allah se prévalait de la descendance du Prophète par Ali et Fatima d’où le nom donné à sa dynastie naissante, dite Fatimide dont les Ketama furent les ardents partisans. C’est ainsi que ces derniers forment l’essentiel de l’armée et du gouvernement fatimide, renversent la dynastie aghlabide, s’emparent de leur capitale Kairouan et combattent tout autant les mouvements kharijites et les Emirats qui s’y rattachent (Béni Rostom à Tahert, Béni Midrar à Sijilmassa…).

Ils se font également les fers de lance pour la conquête en Afrique du Nord (Syrte, Benghazi…), de même qu’en Egypte, en Syrie ou dans les îles du sud de l’Italie…

N’est-ce pas à Habasa ben Youssef El-Ketami, capitaine d’une flotte de deux-cents navires auquel on doit la conquête d’Alexandrie en août 914 après celle de Barca en Tripolitaine! Les chroniques anciennes signées par les orthodoxes sunnites évoquent d’ailleurs ces conquêtes dans un style loin d’être élogieux et rapportent les nombreuses atrocités commises par ce chef à l’encontre des populations civiles.

Quant au chef berbère Abou-Haddou El-Ketami, il participa au siège de Fostat, cinquante ans avant la fondation d’El-Qahira (la victorieuse). Cette nouvelle cité fortifiée du Caire est en effet érigée à la suite de la prise définitive de Fostat en juillet 969 par une expédition formée de contingents Ketama, placés sous les ordres du général Jawhar Siqili (le Silicien).

De son côté, un autre gouverneur du Fatimide El-Moïzz, nommé Jaâfar ben Falah El-Ketami, s’illustra par ses conquêtes en Egypte, à Damas, à Tibériade… tandis que son fils Ali était en 996 gouverneur de Tripoli.

Des chroniqueurs anciens comme Ibn El-Qalanissi rapportent comment de grands chefs Ketama, alliés des Fatimides, occupèrent de hautes charges en Egypte et à Bilad Chem (Syrie, Jordanie, Palestine) et incitèrent les membres de leurs tribus à s’y établir.

D’importantes fractions des Ketama se sont établies anciennement au Maroc où leur nom est encore notoire dans le Rif central près d’Al Hoceïma. Ils ont également donné leur appellation au Moyen-Âge à Qsar Ketama, dit aussi Qsar denhaja (place forte bâtie par une de leurs fractions) devenu, depuis, la ville de Ksar Kebir. Leur nom générique fut à ce titre marquant dans le Gharb en tant qu’ethnonyme avec pour chef-lieu la localité d’Ezzaguen, à 16 km de Ouazzan.

Par ailleurs, de l’autre côté de la Méditerranée, la chute de l'émirat aghlabide a fait de la Sicile une province du califat fatimide dès 909, permettant d’étendre la domination des villes et îles comme Gennes, Malte ou la Sicile où là encore, la présence des Ketama n’est pas négligeable.

Malgré cette belle idylle, quelques soulèvements ketama sont enregistrés depuis l’assassinat du propagandiste ismaélien (et de son frère) par l’Imam et Calife fatimide qui avait pris ombrage de sa popularité.

Peu à peu, les Ketama épuisés dans les guerres de conquêtes, dans les luttes contre les rebellions des kharijites zénètes menées par Abou-l-Yazid (dit l’Homme à l’âne), persécutés par les Abbassides et les Omeyyades, ils finirent par disparaître de la scène historique en tant que force politique aux alentours du Xe siècle et cédèrent le pas aux Sanhaja zirides au Maghreb vassaux des Fatimides. De nombreuses personnalités Ketama continuèrent toutefois à marquer l’histoire tels le jurisconsulte originaire de Sebta, mort à Fès en 1116, Ibn El-Ajouz Ketami, maître de l’imam Malikite Cadi Iyyad, nommé cadi successivement de Gibraltar, Salé, Marrakech, Fès; ou encore, le Faqih traditionniste, Ali ben Mohamed Ketami, surnommé Ibn El-Qattan, inhumé en 1231 à Sijilmassa…

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