lundi 14 mars 2011

La révolution arabe et la restauration de l'identité

La révolution populaire arabe et la restauration de l’identité

Article de Abdelaziz AL HIS du site aljazeera.net traduit par Moncef ZENATI



Les modèles égyptiens et tunisiens ont démontré avec brillance la soif des peuples arabes de s’exprimer et de bouger selon leurs natures et leurs libertés. En revanche, les institutions et les élites de l’autorité arabe se sont reposées sur des rapports de force et calculateurs basés sur une négation profonde de l’identité et de l’intérêt du peuple, étant donné que l’alignement à l’intérêt individuel implique l’écartement de l’intérêt général, et que la prise en compte de leur opinion personnelle exige l’étouffement et la marginalisation de l’opinion publique. En final, celui qui détient la force est à même de se définir et définir les autres, comme le signale Pierre Bourdieu dans son étude sur la sociologie politique. Le modèle basé sur le rapport de force et sur la dominance est celui qui définit les catégories des gens, détermine leur position et façonne leur identité.

La Tunisie : identité d’une élite ou identité d’un peuple ?

La Tunisie représente dans le monde arabe le modèle le plus significatif de subtilisation de l’identité. Un vol d’identité si profond et une marginalisation de la personnalité si forte que le président Bourguiba sortit un jour devant les gens, en plein jour de Ramadan, buvant du jus au vu de tous. De même lorsqu’il appela à renoncer au Pèlerinage sous prétexte qu’il épuise la devise nationale ou encore lorsqu’il méprisa ouvertement et publiquement la langue arabe.



Depuis les débuts de la Tunisie, après son indépendance, Bourguiba était pris par son ancienne lutte contre les symboles de l’arabité et de l’islamité représentés à la fois par les savants de la « Zaïtouna » et par l’ancien groupement du parti constitutionnel libre. Sous le slogan de « modernisation », Bourguiba se déploya à occulter les éléments constitutifs de cette identité. Il abolit alors les tribunaux juridiques (se référant à la législation musulmane) et propagea l’enseignement francophone.



Bourguiba était à la tête d’une élite de diplômés des universités françaises qui prirent la direction du mouvement national et des nouvelles institutions gouvernementales en Tunisie. C’est une élite qui s’employa à rompre avec les racines arabo-musulmanes de la personnalité tunisienne. Elle était en revanche, constamment disposée à adopter et à encourager tout ce qui contredisait les éléments constitutifs de cette identité. L’ère de Ben Ali qui débuta en 1987 était le début d’une mise en scène concernant l’ouverture sur la participation politique, les droits de l’homme et le progrès. Mais la réalité ne tarda pas à apparaître et le pays ainsi que son identité et la voix de son peule, rentrèrent dans une nouvelle période de dépaysement et de dénaturation. Le général Ben Ali est même allé jusqu’à amener la Tunisie vers des étapes d’une dictature sécuritaire et répressive atroce. Il dirigeait, en effet, directement le pays à travers son gigantesque dispositif sécuritaire, alors que son prédécesseur Bourguiba s’appuyait en premier lieu sur son parti au pouvoir.



L’identité tunisienne avec sa composante arabo-musulmane fut prise pour cible tout au long de son histoire. C’est ce que confirme Salem Labyad, professeur de sociologie politique à l’université al-Manar à Tunis, dans son livre « L’identité : l’arabité, l’islamité, la « tunisité » » où il écrit : « L’identité tunisienne, à travers de nombreuses périodes de son histoire contemporaine, est le sommet d’une réelle bataille entre l’élite populaire qui représente l’identité comme la perçoit le grand public, et une élite qui ne représente qu’elle-même, qui nourrit l’identité par des substances de son choix, elle peut être donc francophone, méditerranéenne, africaine, où même romaine ou carthaginoise, mais surtout pas arabo-musulmane.



Le fait d’insister, ici, sur la dimension arabo-musulmane de l’identité tunisienne est dû à l’oppression et à la marginalisation que cette dimension a subies. En principe, l’identité du peuple tunisien et égyptien demeure dotée d’un large fond dont le droit à la diversité et à l’expression naturel de ses composantes est assuré. Mettre en évidence une identité n’implique pas forcément le rejet d’une autre. En revanche, l’utilisation de certaines identités contre d’autres, fut et continue d’être l’un des moyens d’exercer la dictature. D’ailleurs, dans un état qui ne donne aucune considération aux institutions légales et civiles, et n’offre pas une démocratie réelle et effective, force est de constater que la diversité des identités devient un facteur de corruption au lieu d’être un facteur de richesse. Or, contrairement au cas de la Tunisie, il y a eu en Egypte, par le biais du gouvernement De Moubarak et celui de Sadat avant lui, une exploitation politique de la dimension musulmane de l’identité.



L’Egypte : un don du ciel entre les mains des puissants :



Depuis l’arrivée de Anouar Sadat au pouvoir, l’Egypte a pris une nouvelle direction : une coalition avec les Etats Unis et une politique d’ouverture économique. Or, ces deux aspects n’ont pas servi l’Egypte comme ils étaient supposés le faire. Au contraire, seule une élite et certains secteurs en ont tiré profit. Ils furent d’une manière générale, deux facteurs d’affaiblissement du peuple égyptien.



En effet, économiquement, l’Egypte a connu au début des années quatre-vingt, une moyenne de hausse des revenus sans précédent dans son histoire qui a atteint les 8%. Mais cette hausse ne pouvait profiter à un état souffrant d’une défaillance administrative, dominé par un parti unique élevant qui il veut et rabaissant qui il veut, ravagé par des classes opportunistes et par une désorganisation générale.



Après la moitié des années quatre-vingt, la moyenne nationale de revenu a fortement chuté, de même que la moyenne de l’immigration et le prix du pétrole. Cette orientation économique eut un impact sur le pays d’une manière générale. Le niveau de vie s’est affaibli, et un fossé s’est creusé entre le peuple et la manière dont est dirigé le pays. En dépit de tous ces problèmes, certaines classes sociales et certains secteurs ont pu se préserver. Il s’agit des classes et secteurs proches du pouvoir. Depuis, l’Egypte est devenu un pays sans égal dans le service des plus riches comme le mentionne le penseur Jalal Amine. Ces dernières années ont connu les pires versions de cette attitude. Le pays, sans cette révolution, était enchaîné à bord du train économique mondial le « néo-libéralisme » qui suscita l’enthousiasme de Jamal Moubarak et de son entourage. Cette nouvelle économie qui a eu pour effet l’effacement de l’identité du pays, la destruction de ses secteurs de production et l’assèchement des vaisseaux de ses classes les plus pauvres qui environnent en Egypte les 40% de la population.



Ces hommes d’affaires ou la « nouvelle garde » comme les nomme le Carnegie institution (Washington) le mois de septembre dernier, ont pris l’Egypte et ses institutions en otage. En effet, c’est pour la première fois qu’en Egypte, comme le pense l’institution, les hommes d’affaires jouent un rôle important au niveau de la prise de décision politique dans le pays. L’Egypte est un pays dans lequel les gangs économiques se sont associées aux gangs politiques pour spolier son économie et les aides financières étrangères. D’après certaines estimations, la valeur de l’argent détourné du pays au milieu des années quatre-vingt-dix aurait atteint les 300 milliard de dollars. D’autre part, l’ouverture sur les Etats Unis n’a pas été un facteur de force pour l’Egypte pais un facteur d’affaiblissement, comme c’est généralement le cas de tous ceux qui traitent avec eux selon leurs conditions.



Par ailleurs, certains rapports avancent que l’administration d’Obama a insisté, dès le début, sur le fait ne pas émettre des critiques ouvertes à l’encontre du gouvernement de Moubarak pour son manquement dans les domaines de la démocratie et des droits de l’homme. En réalité, le régime de Moubarak était incapable de refléter l’identité du peuple, car en vérité, il s’agit d’un régime qui a perdu son identité. C’était un régime de nature personnelle, dépourvue de toute organisation structurelle, qui n’a su évoluer dans aucune direction qu’elle soit démocratique ou même totalitaire comme l’évoque Maysa Jamal dans son livre « L’élite politique en Egypte « (p 220).



Libération d’une autorité et anti-autorité :



La caractéristique principale du changement qui se fait au niveau du peuple est qu’il s’agit d’un changement qui ne connaît pas de trêve. Il s‘exprime simplement et directement : un régime corrompu, qu’il parte ! C’est ainsi que le mouvement populaire remet les choses à leurs places (à l’origine), et pratique la restructuration en considérant la nouvelle situation dont il est le seul maître loin des théorisations superflues des élites du pouvoir et de l’opposition.



Et en principe, les élites ne sont considérées ainsi que si elles sont une source qui alimente et approvisionne le peuple dans un domaine dont il a besoin, et non pas lorsque celles-ci se nourrissent de lui et le transforment en un champ où elles font ce qu’elles veulent. Par conséquent, étant qu’il s’agit d’un changement majeur, la révolution populaire sera à même de reproduire l’élite selon un cadre ferme renfermant des objectifs et réalistes fortement liés, en premier lieu, à l’intérêt des gens. Ainsi, la libération des gens et leur émancipation des contraintes autoritaires et idéologiques est l’avantage majeur de la révolution populaire arabe. C’est la voie la plus sûre pour la restauration de leur identité et pour l’expression directe de leur volonté et de leur nature. Les masses populaires se centralisent autour de critères objectifs généraux qui font l’unanimité des gens et font fondre toutes les différences idéologiques, tels que la liberté, la dignité, la démocratie, la justice sociale. Politiquement, le voie de l’intérêt personnel emprunté par l’élite au pouvoir avec les forces étrangères, ou ce qu’attend l’Occident d’un régime arabe, a perdu son importance et sa centralité, tant que l’autorité est celle de la rue, et que l’opinion est celle du peuple. Toutes les fenêtres des évènements qui se sont ouverts aux arabes durant le siècle précédent, de la chute du califat, à la décolonisation, à la chute de l’URSS, à l’alliance politique avec les Etats Unis, ne pouvaient prédisposer un changement démocratique dans la région. Au contraire, ce fut des fenêtres exploitées par une élite tyrannique et des idéologiques hermétiques.



Mais aujourd’hui, se manifestent les signes de la percée du corps totalitaire dans les pays arabes, après que les forces de la tyrannie aient épuisé toutes ses énergies et toutes ses ruses, et après l’émergence d’un mode « sociétaire » nouveau conscient des effets de la tyrannie sur son pays.



Il nous appartient aujourd’hui de reconnaître que l’expression de l’opinion des gens et l’adoption de cette expression avec force est un acquis. Aujourd’hui, l’ensembles des rabes ne sont plus uniquement des « majorités silencieuses » d’après la description de Jean Baudrillard selon lequel elles seraient dotées d’une énergie négative qui ne font qu’absorber ce que les élites injectent sans réagir d’égal à égal, ni cette « section muette » d’après la description de Aboul-Alaa al-Ma’arri selon lequel elles seraient l’otage de l’esprit des autres.







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