L’historien et politologue belge Pierre Piccinin, passé par les geôle du régime, a été témoin de la bataille d’Alep. Il a répondu aux questions des internautes du Soir.be. Extraits. Article complet ici: http://www.lesoir.be/debats/chats/2012-09-05/mourir-a-alep-relisez-le-chat-avec-pierre-piccinin-935983.php
@Leïla: Comment survit la population à Alep?
“La population est quotidiennement bombardée. Elle manque de nourriture
et de manière de plus en plus problématique, même si l’Armée Syrienne
Libre (ASL) essaie de la ravitailler. L’ASL organise des distributions
de pain quotidiennes, qui sont d’ailleurs souvent la cible des
hélicoptères. A l’hôpital où j’étais basé, dans un quartier tenu par les
révolutionnaires, des dizaines de civils arrivaient tous les jours,
morts ou blessés. Les chirurgiens restaient sur place devaient s’en
occuper sans matériel et sans médicament.
J’ai tenté dans mes
chroniques, d’humaniser cette révolution en donnant des visages aux
insurgés, en décrivant le plus justement possible la réalité de leur
quotidien. Les médias donnent des chiffres , mais ce sont bien des gens
qui meurent. A l’hôpital, ce sont des pères qui apportent les dépouilles
mutilées de leurs enfants, des enfants, qui pleurent sur les corps
mutilés de leurs parents. “
@Elise: Votre changement de
position par rapport à une intervention militaire en Syrie vous a
rapporté beaucoup. On a parlé de vous dans les grands médias etc.
Comment vivez-vous ce nouveau succès et cette reconnaissance alors
qu’avant vos analyses n’étaient pas connues des grands médias?
“D’une part, je n’ai pas “changé de position” ou, comme certains se
sont plu à le dire “retourné ma veste”. La situation en Syrie s’est
radicalement transformée en mai, principalement à la faveur des
élections du 7.
Beaucoup de Syriens, peut-être une majorité,
sans soutenir la dictature, espéraient néanmoins que le “Printemps
arabe” et les manifestations dans le pays amènent le régime à évoluer
politiquement, par des réformes parlementaires. C’est-à-dire sans
risquer les troubles que nous connaissons depuis quelques mois. Or, le
régime a raté sa reconversion. Mon analyse a suivi l’évolution de la
situation, qui était assez calme et encore favorable à al-Assad,
jusqu’en janvier, date de mon troisième séjour en Syrie. Aujourd’hui, je
n’appelle pas à une intervention, mais à une aide à la rébellion qui,
avec quelques armes adéquates, pourrait renverser très rapidement le
régime . Si les rebelles avaient une vraie chance de l’emporter
militairement, de nombreux régiments de l’armée se désolidariseraient du
gouvernement et, en quelques jours peut-être, la dictature serait
renversée. D’autre part, je ne pense pas que le “succès” que l’on me
prête soit le résultat de mon évolution dans le dossier syrien.
L’arrestation et les sévices dont j’ai fait l’objet à Homs et ce que j’y
ai vu, ont probablement constitué un témoignage important, que les
médias ont tenu à diffuser.”
@Rozen: Pourquoi l’occident veut-il systématiquement maintenir ou faire tomber ces régimes dans l’obscurantisme et le désordre?
“ La Syrie n’est nullement victime d’une manoeuvre de l’Occident qui
viserait à renverser le président Al-Assad. Tout au contraire, les
grands Etats européens, et les USA également, empêchent les rebelles de
s’armer. Cette vision du complot de l’Occident procède d’un postulat
maintenu envers et contre tout certains intellectuels anti américains
pour lesquels tout ce qui se passe au Moyen-Orient doit forcément avoir
pour cause première une intervention des Etats-Unis.
@Eustache:
Les 8 000 Syriens des forces de sécurité et de l’armée qui ont été tués
auraient donc été abattus sans aucune aide matérielle de l’étranger?
“Sur le terrain, j’ai été très soigneux dans l’examen du matériel
militaire dont disposent les rebelles : c’est un armement léger, qui
provient des arsenaux syriens, du matériel russe, chinois, des
kalachnikovs, et rien d’autre. Et je me demande bien où se trouve tout
cet équipement que la CIA et d’autres états sont sensés, selon certains,
avoir envoyé aux rebelles.
Les armes qui passent par la
frontière sont peu nombreuses et évidement, certains journalistes qui
cherchent le scoop montent tout cela en épingle. J’ai rencontré à Alep
un journaliste d’Europe 1 venu de Turquie, tout exalté parce qu’il avait
vu deux fusils américains. Contrairement à ce qu’un article du New York
Times avait annoncé, la CIA n’a pas fourni de roquettes antichars aux
rebelles. C’est l’Arabie Saoudite qui les a fournies, forçant la main
aux Etats-Unis, qui y étaient opposés. Le “deal” étant que la CIA en
contrôlerait l’acheminement. Il est donc clair que dans les faits,
contrairement aux discours, Washington soutient indirectement le régime.
@Visiteur: Avez-vous rencontré des personnes de l’OSDH
(Observatoire syrien des droits de l’homme NDLR) en Syrie? Nos médias
nous répètent sans cesse des sources venant de Londres...
“Durant mes cinq séjours passés en Syrie depuis le début des évènements,
je n’ai jamais rencontré des personnes se réclamant de l’OSDH.
L’OSDH, dont j’ai interrogé le fondateur est très évidemment impliqué
dans le conflit. Ses informations sont à la fois difficilement
vérifiables et peu crédibles.
Ayant moi-même démonté des “faux” produits par l’OSDH, il est clair que je ne peux cautionner cette organisation.”
Résumé Alicia Bourabaa (St)
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