samedi 4 septembre 2010

Les livres du sable

J'en avais déjà entendu parlé  et découvert cela lors d'une émission à la télé
Le monde en a fait un article disponible sur son site . Je m'y intéresse car ce trésor est en train de disparaître par manque d'intérêt à l'aspect culturel qui pourtant peut représenter une incroyable ressource financière pour ceux qui seront exploiter intelligement le filon.

La petite cité de Chinguetti, en Mauritanie, abrite quelques-unes des plus belles collections de livres anciens arabo-berbères. Faute de moyens pour les entretenir et les protéger, ces ouvrages sont menacés de désintégration.

Avec un craquement de bois sec, le livre s'ouvre sur une page qui représente, délicatement dessiné, dans un cercle de boules noires et de croissants rouges, le tracé de la Lune. Le manuscrit contient 132 pages d'astronomie arabe enserrées dans une couverture de cuir élimée. Un joyau du XVe siècle conservé, parmi d'autres, dans une simple boîte en carton à l'intérieur d'une maison traditionnelle de Chinguetti.

Cette petite cité historique, située sur les plateaux de l'Adrar, en Mauritanie, abrite quelques-unes des plus belles collections de livres anciens arabo-berbères, bien connus des spécialistes. Mais aujourd'hui les bibliothèques du désert, comme on les appelle, se meurent.
Confrontée à une chute drastique du tourisme, la Mauritanie concentre tous ses moyens sur la sécurité et la lutte contre Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI). En contrepartie, le patrimoine est délaissé. " Ces dernières années, ce n'est pas la priorité ", reconnaît avec franchise la ministre de la culture, Cissé Mint Cheikh Ould Boide. Transmis de génération en génération, les manuscrits, dont certains remontent au Xe siècle, appartiennent toujours à des familles et sont répartis dans quatre principaux centres, Chinguetti, Ouadane, Oulatane et Tichitt.

Classées au patrimoine mondial de l'humanité par l'Unesco depuis 1996, ces villes, autrefois situées sur le trajet des pèlerinages vers La Mecque et sur le chemin des caravanes qui parcouraient, chargées de sel et de dattes, un vaste territoire depuis le nord de la Mauritanie jusqu'au Soudan, étaient jusque récemment l'une des principales attractions touristiques. Les visiteurs se font rares désormais, et les livres du sable retournent dans un oubli plus dangereux encore que leur utilisation.
" Jusqu'à l'époque coloniale, ils représentaient la seule lecture, ils étaient souvent consultés et parfois recopiés. Mais avec l'apparition de la vie moderne, ils sont devenus de plus en plus des reliques ", explique Jiyid Ould Abdi, directeur de l'Institut mauritanien de recherches scientifiques (IMRS). Des reliques menacées.
Pour tenter de remédier à la situation, le gouvernement a prévu de lancer, en 2011, une grande manifestation baptisée " Nouakchott ", capitale de l'art islamique. Une table ronde internationale permettra de sélectionner 35 projets, et d'attirer, espèrent les autorités, des capitaux étrangers. Les plus critiques objecteront que l'initiative privilégie, une fois de plus, la civilisation maure, au détriment des cultures négro-mauritaniennes, pular, wolof ou soninké ; les autres salueront une campagne nécessaire qui sera précédée, quelques mois plus tôt, en novembre, du cinquantième anniversaire de l'indépendance du pays. A cette occasion, " je compte gentiment demander la restitution du patrimoine iconographique colonial ", annonce la ministre de la culture. Nombre de pièces, parfois rapportées des missions de Théodore Monod, " se trouvent au Musée de l'homme, à Paris, souvent avec une identité perdue, genre "Sahara", mais aussi chez des particuliers ", précise-t-elle.

Pour l'heure, l'Institut mauritanien de recherches scientifiques (IMRS) de Nouakchott, mitoyen du Musée national, n'a pas les moyens d'assumer sa mission de protéger les manuscrits. Une poignée d'entre eux seulement ont été restaurés et répertoriés selon la date et le nom de leur auteur mentionné en dernière page.

Le laboratoire moderne, installé avec l'aide des Italiens, dans une salle attenante, tourne au ralenti. Avec précaution, un employé fait une démonstration : les bras plongés dans une cage de verre équipée de manches, il nettoie au pinceau chaque page pour chasser le sable du désert aussitôt aspiré par une petite pompe. Puis le manuscrit est placé dans un plastique sans oxygène pendant vingt et un jours, le temps de tuer toute bactérie. Une reliure en carton toute simple, fabriquée aux dimensions, est apposée. L'original, après avoir été scanné, est ensuite rendu à son propriétaire.

C'est une sauvegarde limitée : sur les plus de 33 000 manuscrits arabes anciens recensés à la fin des années 1990 en Mauritanie, à peine 10 % ont atterri au musée. La majorité est toujours aux mains de familles. " On a tout essayé, nous avons proposé de les dédommager, de prendre les livres juste en dépôt en leur garantissant la propriété, mais rien n'y a fait, soupire le directeur de l'IMRS, Jiyid Ould Abdi. C'est un héritage des ancêtres, un honneur de les garder. Chacun fait comme il peut, dans des cantines ou des coffres. Ils sont gardés, oui, mais pas conservés. " Même quand il s'est agi de les archiver sur microfilms, dans le cadre d'une coopération allemande, les réticences ont été fortes.

A 600 km de là, à Chinguetti, qui fut un centre de rayonnement islamique, la famille Habott possède l'une des plus belles bibliothèques privées : 1 400 livres répartis en douze domaines : l'étude du Coran et des hadiths (les paroles du prophète), l'astronomie, la mathématique, la géométrie, le droit, la grammaire... Le plus vieux livre, rédigé sur papier de Chine, date du 4 avril de l'an 482 de l'hégire (XIe siècle) et porte le titre Approfondissement des données du livre d'Allah.
Quatre générations se sont succédé, depuis le début de la riche collection fondée par Sidi Ould Mohamed Habott au XIXe siècle, pour conserver ces ouvrages. Habott lui-même a parcouru, à dos de chameau, la route jusqu'à La Mecque pour dénicher ces précieuses reliques - " six mois à l'aller, autant pour le retour ", précisent ses descendants - à l'image de ces érudits qui transmettaient, échangeaient et recopiaient les livres au fil de leurs pérégrinations au sein des caravanes. C'est par ce moyen que l'islam s'est implanté en Mauritanie. " Sans agriculture, sans matières premières, le pays s'est créé autour de la culture ", note Jiyid Ould Abdi. " Tous les savants possédaient leur bibliothèque ", écrivait, en 1937, l'ethnologue française Odette du Puigaudeau, spécialiste des peuples du Sahara, en évoquant ces " ouvrages gainés de cuir colorié, frappés d'or, rapportés d'Afrique du Nord, d'Egypte, de Syrie, de Tombouctou au Mali, par des pèlerins et des messagers... "

Perpétuant la tradition, Habott et ses fils ont d'ailleurs écrit une quarantaine de livres. Pas question, dans ces conditions, de dilapider ce précieux capital. Chaque année, au mois d'août, la famille tient conseil pour désigner un gérant. C'est ce dernier, vêtu d'un boubou bleu, qui ouvre les portes de la maison traditionnelle où reposent dans la pénombre, à l'abri des murs ocre, les manuscrits.

Le matériel d'entrepôt est rudimentaire : des armoires métalliques, des boîtes d'archivage en carton et, aux quatre coins de la pièce, de grosses bassines d'eau changée " tous les quarante jours " afin de préserver un peu d'humidité dans cet univers sablonneux. Pour y pénétrer, il faut grimper une petite dune qui s'est formée devant la porte. Le sable, qui entoure toute la ville et qui progresse de plusieurs mètres par an, est un ennemi redoutable. Il s'infiltre partout et a déjà englouti, de l'autre côté de la place, la vieille cité dont il ne reste plus que des pans de murs en ruine et une jolie mosquée surmontée d'oeufs d'autruche.

L'espace de quelques minutes, par crainte de la lumière, les livres sont ouverts, qui étalent leur calligraphie et leurs enluminures colorées magnifiques. Ils côtoient, posé sur la table, le témoignage bien visible, et beaucoup plus récent celui-ci, d'un visiteur de passage, le chef d'état-major français des armées, le général Jean-Louis Georgelin...

A quelques mètres de là, Seïf Islam, l'intendant du lycée de Chinguetti, veille depuis plus de dix ans sur une autre bibliothèque, la fondation Al Ahmed Mahmoud. Dans un tout petit réduit poussiéreux dorment 700 manuscrits, de toutes les tailles. Certains ont les feuilles rongées, les couvertures effritées, et sont très endommagés. Mais laisser partir ce trésor dont la pièce maîtresse, sur peau d'antilope, remonte au Xe siècle, est une hypothèse aussitôt repoussée.

" Cela fait longtemps que l'Etat cherche à s'en emparer, mais est-ce que l'on se séparerait de sa main ou de son pied ? C'est une partie de nous-mêmes ", s'insurge le gérant. Dans la cour de la maison traditionnelle, il déclame un poème, en arabe d'abord, puis dans un français parfait. Il a la diction rapide et le ton assuré des guides habitués à accueillir des touristes. Les bibliothèques du désert attiraient jusque récemment de nombreux étrangers, contribuant ainsi au développement de Chinguetti et de ses villes-soeurs.

Mais depuis l'assassinat de touristes français, en décembre 2007, et l'enlèvement d'autres Européens revendiqués par Al-Qaida, les voyageurs se font de plus en plus rares. Les ruelles ensablées sont vides, les échoppes artisanales fermées, faute de clients. La belle saison, de novembre au mois de mai en Mauritanie, s'est à nouveau achevée, sur une note morose et un maigre bilan.

L'ambassade de France a fait ses comptes : cette année, 1 700 Français en tout et pour tout sont venus, souvent en coup de vent depuis le Sénégal où l'opérateur militant, Point Afrique, a maintenu, contre vents et marées, un charter. Rien à voir, cependant, avec le chiffre de 80 000 Français avancé par la ministre de la culture, ancienne directrice du tourisme, en 2006.

Aujourd'hui, le trajet en voiture par l'unique " goudron " - ainsi désigne-t-on une route en Mauritanie - qui relie Nouakchott à Atar, à une heure de Chinguetti, n'est plus guère emprunté. Au bout, le travail disparaît, les ressources se tarissent et les jeunes fuient vers la capitale. Le désert n'en paraît que plus solitaire, et les livres abandonnés au sable.

Isabelle Mandraud

Le Monde


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