vendredi 19 septembre 2008

Ruben Um Nyobè: le Ben Barka camerounais

Le 13 septembre 1958, il y a cinquante ans, était tué Ruben Um Nyobè. C’est dans une forêt de Sanaga Maritime, dans le sud du Cameroun, qu’une patrouille française qui traquait depuis des mois le secrétaire général de l’Union des populations du Cameroun (UPC) repérera son objectif et l’abattit comme un animal sauvage. Son corps fut traîné jusqu’au chef-lieu de la région, où il fut exhibé, défiguré, profané. « Le Dieu qui s’était trompé » est mort, annoncera triomphalement un tract tiré à des milliers d’exemplaires. Le corps de Ruben Um Nyobè fut coulé dans un bloc de béton.Cinquante ans après son assassinat, le nom de Ruben Um Nyobè est presque oublié en France. Au Cameroun, en revanche, il reste l’objet d’une immense admiration. Mais cette admiration populaire est restée longtemps contrariée, toute référence à Um Nyobè et à son parti, l’UPC, ayant été interdite par la dictature d’Ahmadou Ahidjo mise en place en 1960 avec le soutien de l’ancienne métropole. La moindre évocation de Um Nyobè était considérée par le pouvoir en place comme « subversive » et sévèrement réprimée. Sa mémoire ne put être perpétuée que dans la clandestinité ou dans l’exil.D’une certaine manière, le pouvoir camerounais, et ses parrains français, avaient raison de se méfier du souvenir de celui qui était appelé Mpodol (« celui qui porte la parole des siens », selon la traduction du grand spécialiste de cette phase de la décolonisation camerounaise, Achille Mbembe). Car, comme l’écrivait en 1975 une militante française qui fut une de ces correspondantes régulières à Paris dans les années 1950, « ce leader révolutionnaire avait des qualités humaines hors série, celle que l’on retrouve chez les saints, chez un Gandhi par exemple. L’exemplarité de sa vie, la pureté de ses intentions, le rayonnement de sa personnalité pourraient suffire à perpétuer sa mémoire ». Ruben Um Nyobè était en somme la figure inversée de ceux qui, après sa mort, prirent le pouvoir au Cameroun.Um Nyobè est né en 1913 près de Boumnyebel (Sanaga Maritime). Le Cameroun est alors une colonie allemande, qui ne deviendra un territoire sous mandat de la Société des nations (SDN) confié en partage à la France et au Royaume-Uni qu’au sortir de la première guerre mondiale. Eduqué dans les milieux protestants, il devient fonctionnaire et s’intéresse assez tôt à la politique. Il s’engage à la fin des années 1930 dans la Jeunesse camerounaise française (JEUCAFRA), une organisation mise sur pied par l’administration française pour fédérer les élites contre la propagande nazie, avant de prendre part, à la fin de la seconde guerre mondiale, au Cercle d’études marxistes – lancé à Yaoundé par le syndicaliste français Gaston Donnat – qui allait devenir une véritable pépinière du nationalisme camerounais. D’abord responsable syndical, Um Nyobè est ensuite désigné secrétaire général de l’Union des populations du Cameroun constituée à Douala en avril 1948. L’heure n’est plus, dira-t-il plus tard, simplement de « s’opposer à l’hitlérisme comme en 1939, mais au colonialisme tout court ».C’est pour défendre cet objectif, articulant intimement progrès social et économique, indépendance pleine et entière, et réunification des Cameroun britannique et français, qu’Um Nyobè engage toutes ses forces en tant que secrétaire général de l’UPC. Inlassablement, pendant les dix dernières années de sa vie, de 1948 à 1958, il réaffirme ces trois principes sur toutes les tribunes et dans tous les journaux. Petit homme modeste, ascétique et d’une étonnante rigueur intellectuelle et morale, il dénonce infatigablement le sort misérable réservé aux « indigènes », les manœuvres des milieux colonialistes, ainsi que la bassesse et la corruption de ceux de ses compatriotes qui préfèrent faire le jeu de l’adversaire plutôt que de s’engager dans la lutte pour la souveraineté nationale et la justice sociale.Plus exceptionnelle encore est sa capacité à décrypter et à disséquer le système juridique particulier auquel est soumis le Cameroun, devenu territoire sous tutelle de l’Organisation des Nations unies au lendemain du second conflit mondial. Des villages camerounais les plus reculés jusqu’à la tribune des Nations unies, où il est convié à trois reprises entre 1952 et 1954, il explique sans relâche que le droit, aussi bien français qu’international, est dans le camp de l’UPC. La France n’a dès lors aucune légitimité pour s’imposer plus longtemps à une nation qui veut être enfin maîtresse de son destin.Ce qui frappe quand on lit les textes et les discours du leader de l’UPC, et ce qui les rend aujourd’hui un peu moins attractifs que ceux d’autres grandes figures de l’époque, c’est l’absence de formules abstraites et de lyrisme vague. Pragmatique, Um Nyobè reste toujours au plus près des préoccupations concrètes de son auditoire, enchaînant minutieusement les faits, les chiffres, les dates ou les articles de loi.Utilisant la Raison comme une arme de combat contre ceux-là même qui ont toujours cru en être les dépositaires exclusifs, Ruben Um Nyobè bouleverse l’ordre colonial non seulement dans ce qu’il a de plus odieusement visible mais jusque dans l’imaginaire des colonisés eux-mêmes. L’influence d’Um Nyobè dépasse rapidement le strict cadre camerounais : fervent partisan de la coordination des mouvements anti-colonialistes, il devient au cours des années 1950 une des icônes internationales du tiers-mondisme naissant. C’est sans doute la force de cette entreprise de subversion globale qui déterminera l’administration française, à court d’arguments, à recourir à la force brute pour faire taire celui qui apparaît comme le leader le plus charismatique du nationalisme camerounais.Si Um Nyobè et ses camarades avaient déjà eu à subir à de nombreuses reprises la brutalité et l’arbitraire colonial, le tournant décisif a lieu en 1955 avec l’arrivée au Cameroun d’un nouveau Haut-Commissaire, Roland Pré, qui a pour mission, dès son arrivée au territoire, d’éradiquer l’UPC par tous les moyens. A la suite des provocations répétées de l’administration, le Cameroun est secoué par des semaines d’émeutes sanglantes en mai 1955. Comme l’avait prédit avec une stupéfiante prescience Um Nyobè quelques années plus tôt, l’agitation sociale et politique sert aussitôt de prétexte au gouvernement français pour faire interdire l’UPC. Le 13 juillet 1955, l’UPC et ses organisations annexes sont déclarées illégales. Poussée à la clandestinité, l’Union des populations du Cameroun se disperse. Ruben Um Nyobè se réfugie dans sa région natale, tandis que les autres responsables – parmi lesquels Félix Moumié, Abel Kingue et Ernest Ouandié – fuient au Cameroun sous administration britannique.La clandestinité forcée constitue une rude épreuve pour Um Nyobè, la précarité du maquis ne pouvant que réduire la portée de son verbe et affaiblir la puissance de ses arguments. Il parvient néanmoins à restructurer l’UPC et à maintenir, contre vents et marées, l’unité de sa direction. Son objectif restera toujours de permettre la réintégration du parti dans le jeu légal qu’il savait être, étant donné le rapport de force, le seul espace susceptible de permettre à terme l’émancipation de son pays. La voie est pourtant étroite : tandis que l’administration tente en vain d’ultimes manœuvres pour rallier Um Nyobè à la cause française, les upécistes exilés au Cameroun britannique penchent de plus en plus pour une stratégie de lutte armée inspirée des modèles indochinois ou algérien. Acculé, Ruben Um Nyobè – qui avait toujours soutenu que la lutte armée au Cameroun était « dépassée » puisque la force du droit devait, selon lui, suffire à faire triompher la cause nationale – accepte finalement, mais sans conviction, la création d’une structure armée fin 1956. Mais la situation devient rapidement désespérée pour les nationalistes camerounais : face à une « rébellion » sans armes, l’armée française s’engage, sous l’impulsion du nouveau Haut-commissaire Pierre Messmer, dans une répression brutale dont Um Nyobè sera, le 13 septembre 1958, une victime essentielle.Quelques jours seulement après la mort de Mpodol et alors que la Constitution de Ve République vient d’être adoptée, la France annonce aux Camerounais, maintenant que « l’hypothèque Um Nyobè » est levée, qu’elle accordera l’indépendance à leur pays le 1er janvier 1960. La métropole confiera cette « indépendance » à ceux qui l’avaient le moins demandé – lesquels combattront pendant des années, avec acharnement, et toujours avec l’aide de la France, tous ceux qui resteront fidèles, les armes à la main ou par d’autres moyens, au message d’Um Nyobè. Un message qui reste d’ailleurs d’une brulante actualité dans un pays bâillonné par un pouvoir corrompu et une pauvreté entretenue où les émeutes sociales et politiques sont, encore aujourd’hui, systématiquement réprimées. Un pays qui devra, pour reprendre les termes d’Achille Mbembe après la répression des émeutes de février 2008, savoir « réveiller le potentiel insurrectionnel » que Ruben Um Nyobè en son temps avait su allumer).Thomas Deltombemonde-diplomatique.fr
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1 commentaire:

Anonyme a dit…

Le Umnyobisme et le Cameroun du 21ème siècle

La pensée politique de Ruben Um Nyobè, ou le Umnyobisme, peut-elle constituer une doctrine politique à part entière, au même titre que d’autres à travers l’Histoire ? Comment cette pensée politique peut-elle redresser le Cameroun, en ce début de 21ème siècle, et en faire un grand pays en Afrique et dans le monde ?

Le Umnyobisme comme doctrine politique.

La pensée de Ruben Um Nyobè peut se constituer en doctrine politique, au même titre que celles qui ont façonné le monde contemporain, y compris l’Afrique. Bien mieux, elle demeure la seule, de toutes celles qui ont été énoncées au Cameroun, qui soit en mesure de transformer notre pays, au point de lui faire obtenir respect et considération de par le monde. Pour bien mesurer la justesse des propos de Ruben Um Nyobè, il importe de passer, rapidement en revue, les doctrines que ses adversaires politiques ont, pour leur part, élaborées.

Le socialisme africain d’Ahmadou Ahidjo.

La première ébauche de doctrine politique qui a vu le jour au Cameroun, après la disparition de Ruben Um Nyobè, a été celle énoncée au mois de juillet 1962, au congrès de l’Union Camerounaise, UC, à Ebolowa, par Ahmadou Ahidjo, et qui portait pour nom : « Socialisme africain ». En quoi celui-ci consistait-il ? El Hadj Moussa Yaya, secrétaire politique de l’Union Camerounaise, nous l’explique, dans son intervention au cours du 2nd séminaire de l’UC, du 15 au 23 juin 1964 : « le socialisme africain est d’abord, pour nous, une méthode, celle qui consiste à rester ouvert aux apports de l’extérieur, à dresser un inventaire impitoyable des éléments positifs que nous pouvons retenir de ces apports extérieurs, en particulier des expériences socialistes ans d’autres pays. A cet inventaire, il faut ajouter un second, celui des meilleurs éléments de la civilisation négro-africaine. Nous ne construisons pas sur une table rase, ce serait aller sûrement à l’échec. Nous retiendrons ce qui doit être retenu de nos institutions, de notre technique et de nos valeurs purement africaines, voire nos méthodes. Pour faire tout cela, acquis de l’Afrique et apport de l’extérieur, une symbiose dynamique, pour parler comme le président Léopold Sédar Senghor, à la mesure de l’Afrique et du 20ème siècle, mais d’abord de l’Homme. Vous reconnaissez, là, notre méthode socialiste ». Bref, bla-bla-bla. Ahmadou Ahidjo, lui-même, au bout de quelque temps, a abandonné son discours sur le « socialisme africain », pour en développer un nouveau : le « développement auto-centré ».

Le développement auto-centré d’Ahmadou Ahidjo.

En quoi consistait-il ? Celui-ci reprenait la rhétorique identique du « socialisme africain », mais, sans plus prononcer le mot « socialisme ». Après en avoir clamé les vertus dans ses discours pendant plusieurs années, Ahmadou Ahidjo lui a adjoint deux nouveaux qualificatifs : « endogène », d’une part, et « auto-entretenu », d’autre part. On est donc passé du « développement auto-centré », tout court, au « développement auto-centré, endogène et auto-entretenu ». Comprendra qui pourra.

Une fois Ahmadou Ahidjo évincé du pouvoir, son remplaçant à la présidence de la République est arrivé avec, dans ses bagages, une nouvelle doctrine politique : « le libéralisme communautaire ».

Le libéralisme communautaire de Paul Biya.

En quoi celui-ci consistait-il ? Un remake, pure et simple, du «développement auto-centré, endogène et auto-entretenu » de son « illustre prédécesseur », Ahmadou Ahidjo, ainsi que Paul Biya se plaisait à désigner celui qui l’a fait roi. Un baragouin sur une acrobatique synthèse entre le libéralisme, comme idéologie, et le communautarisme qui caractériserait, selon lui, le peuple camerounais.

Avant d’aborder le « Umnyobisme », comme idéologie, nous nous devons de poser la question suivante ? Quels ont été les résultats obtenus après avoir appliqué ces différentes idéologies ? La réponse est connue de tout le monde : la faillite totale de notre économie, la domination politique de notre pays, la recolonisation pure et simple e notre pays..

Le Umnyobisme.

En quoi consiste-t-il ? On trouve la réponse à cette interrogation dans les différents écrits de Ruben Um Nyobè. Il se présente ainsi que suit : 1/- reconstitution de la patrie camerounaise ; 2/- indépendance nationale.

1-La reconstitution de la patrie.
Cette idée a vu le jour au lendemain de la division du Cameroun le 4 mars 1916 par les Français et les Britanniques, à la suite de leur invasion conjointe de notre pays, pour en expulser les Allemands. Um Nyobè aura été l’un des personnages qui auront véritablement transformé cette revendication nationale latente en revendication politique majeure. C’est cette revendication qui a pris le nom bien connu des Camerounais, à savoir, la « réunification ».

La réunification selon Um Nyobè.

Um Nyobè, en développant ce thème, n’entendait, nullement, la duperie qui s’est produite le 1er octobre 1961, aggravée, dans un premier temps, le 20 mai 1972, par l’abolition de l’Etat fédéral, puis le 4 février 1984, par l’abolition de la République Unie du Cameroun, et sa transformation en République du Cameroun tout court.

Le 1er octobre 1961, rappelons-le, fut la date de la réunification (la reconstitution) partielle du Kamerun. La partie septentrionale du British Cameroons, a été incorporée au Nigeria le 1er juin 1961.

Cette réunification avait été consécutive à la roublardise du Congrès constitutionnel de Foumban tenu du 17 au 21 juillet 1961. Au cours de ce congrès, alors que la délégation anglophone était venue pour élaborer une constitution commune, donc une toute nouvelle constitution, adopter un hymne national commun, une devise commune, et un drapeau commun, celle-ci s’est vue imposer l’adoption de la constitution de la République du Cameroun (le nom de la partie du Kamerun sous domination française ayant accédé à l’indépendance le 1er janvier 1960) offerte par la France à Ahmadou Ahidjo, avec, simplement, quelques aménagements, l’adoption de l’hymne, de la devise, et du drapeau de la République du Cameroun. Même la capitale de la République du Cameroun a été imposée comme capitale fédérale, alors que les délégués anglophones préconisaient le choix de la ville de Douala pour cela.

A la suite de cette roublardise monumentale, dès lors que la question des accords de coopération (véritables accords d’asservissement) du 31 décembre 1958 signés par Ahmadou Ahidjo avec le gouvernement français n’avait pas été abordée, c’est-à-dire inscrite à l’ordre du jour, il est né, auprès des Camerounais anglophones, le fort sentiment d’être passés, le 1er octobre 1961, de la domination Britannico-nigériane, à une domination française par Camerounais francophones interposés.
Le 20 mai 1972, quant à lui, est l’une des dates les plus sombres de notre histoire. En effet, les Français, à la suite de la nationalisation des avoirs pétroliers français d’Algérie par le président Boumediene, avaient décidé d’entamer l’exploitation du pétrole camerounais, conformément aux accords signés avec Ahmadou Ahidjo le 31 décembre 1958 à la faveur desquels celui-ci octroyait, à la France, tous les minerais solides et liquides (donc le pétrole) contenus dans notre sous-sol. Mais, problème : la nappe véritablement importante de pétrole, au Cameroun, se trouvait au Cameroun occidental, c’est-à-dire dans les actuelles provinces du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Entamer l’exploitation de ce pétrole dans ces conditions, aurait pu déboucher sur une guerre civile comme il venait de s’en dérouler une au Nigeria voisin, de 1967 à 1970. Seule solution : mettre fin à l’Etat fédéral au Cameroun, et passer à l’Etat unique. Ahmadou Ahidjo a été convoqué, au début du mois de mai à Paris pour se voir intimer l’ordre de s’empresser d’abolir l’Etat fédéral, afin que la France puisse entamer, le cœur tranquille, l’exploitation du pétrole qui se trouve dans l’actuelle province du Sud-Ouest. C’est de cette manière que le Cameroun est passé de la République Fédérale du Cameroun à la République Unie du Cameroun, à la suite d’un référendum au cours duquel il n’y avait que deux types de bulletins de vote dans les urnes : le « Oui » et le « Yes ». Ahmadou Ahidjo, pour sa part, s’est lancé dans une grande mystification. Il s’est mis à expliquer aux Camerounais que ceux-ci avaient « consolidé d’avantage leur unité ». Il avait dénommé cette forfaiture du nom de « révolution pacifique du 20 mai », ce à quoi ceux qui étaient au courant de l’ordre français, rétorquaient : « révolution pétrolière du 20 mai ».

Le 4 février 1984, Paul Biya, pour sa part, mû par un désir profond de concentration des pouvoirs entre ses seules mains et de personnification de ceux-ci, a fait adopter, par le Parlement, la loi n° 84-001 du 4 février 1984 abolissant, d’une part, la République Unie du Cameroun, et donnant naissance à la République du Cameroun, tout court, et d’autre part, le poste de Premier ministre.

La conséquence de ces différentes manipulations de la constitution, non pas au bénéfice des Camerounais, mais bel et bien, soit de la France, soit d’un seul individu, ont abouti, tout bonnement, à la naissance de la Southern Cameroon National Council, Scnc, le mouvement sécessionniste anglophone, et à un sentiment prononcé de duperie profonde de la part des Anglophones du Cameroun, par leurs concitoyens Francophones. Pour tout dire, au Cameroun, de nos jours, nous nous retrouvons face à une réunification d’avantage juridique que sentimentale. Le cœur d’innombrables Anglophones n’y est pas.

Selon Um Nyobè, la réunification du Kamerun était, avant tout, la fusion des cœurs, et non quelque diktat juridique que ce soit. D’autre part, celle-ci supposait la reconstitution, intégrale, du Kamerun, et non partielle, ainsi que cela s’est plutôt produit. Pour réussir cela, Um Nyobè plaçait la réunification avant l’octroi de l’indépendance, et non le contraire. Selon lui, si les choses ne se passaient pas ainsi, le Kamerun courait le risque de ne plus être reconstitué. N’est-ce pas, finalement, ce qui s’est produit ? N’avons-nous pas perdu une partie du Kamerun ?

2- L’indépendance selon Um Nyobè.

L’indépendance du Cameroun, selon Um Nyobè, ne signifiait, nullement, son adhésion, de quelle que manière que ce soit, à l’Union Française, le grand ensemble politique de la France qui avait succédé à son empire colonial en Afrique Noire et à Madagascar, en 1946. Le Cameroun n’étant pas, juridiquement, une colonie française, mais bel et bien un territoire international appelé à accéder à l’indépendance, il ne devait, en aucune manière, être incorporé dans l’Union Française, comme par exemple le Sénégal, le Dahomey (actuellement Bénin), la Haute-Volta (actuellement Burkina-Faso), etc. Dans cet esprit, pour que le Kamerun appartint à un ensemble politique de ce type, il aurait d’abord fallu qu’il fut, d’une part reconstitué, d’autre part indépendant, c’est-à-dire libéré de toute domination étrangère.
Le 31 décembre 1958, malheureusement, le gouvernement Ahidjo a signé, avec la France, les premiers accords de coopération, alors qu’il n’était pas encore, ni réunifié, ni indépendant. La suite, tout le monde la connaît : la servitude coloniale s’est poursuivie, mais cette fois-ci par Camerounais interposés, ceux-ci ayant pris la place de Hauts-commissaires de la France au Cameroun, et des administrateurs des colonies français dans notre pays. Les décisions capitales du pays, comme conséquence de cette situation, ont continué à être prises par Paris, et c’est toujours cela qui prévaut jusqu’à ce jour. Bien mieux, les chefs d’Etat camerounais continuent à être convoqués par Paris, pour recevoir des ordres, comme l’étaient les hauts-commissaires de la République française au Cameroun.

L’APPLICATION DU UMNYOBISME AUJOURD’HUI.

Il découle de ce qui précède que la pensée politique de Ruben Um Nyobè, non seulement, est encore entièrement d’actualité, étant donné que la réunification s’est soldée par une réalisation incomplète qui a engendré une vaste frustration, et l’indépendance nationale n’est toujours que juridique, réalité fortement renforcée par la recolonisation, pure et simple, du Cameroun à travers la privatisation des sociétés d’Etat, mais en plus, peut et devrait encore servir de boussole pour un Cameroun à la fois réunifié et indépendant. Pour ce faire, il se présente aux Camerounais, deux chantiers : 1/- repenser la réunification ; 2/- redéfinir notre relation avec l’étranger, et, notamment, l’une de nos trois anciennes puissance colonisatrice, la France. En 1960, nous aurions été véritablement indépendants, que nous aurions, ni plus ni moins, nationalisé Alucam. Cela n’a pas été fait. De même, aujourd’hui, nous ne pouvons nous prétendre indépendants, lorsque, pour que notre président de la République entreprenne de modifier la constitution dans le but de s’éterniser au pouvoir, il se trouve obligé de lancer le débat depuis Paris, à travers une chaîne de télévision française, au sortir d’un entretien de 37 minutes avec le chef d’Etat français. Comment ne pas penser qu’il était allé présenter, à celui-ci, les contours de son projet, et, surtout, les avantages que pourrait en tirer la France, afin de recueillir, au bout du compte, son aval ?

© Correspondance particulière : Enoh Meyomesse